Quand on pense « littérature
algérienne », on pense à ses auteurs, à son corpus et à tous les synonymes
auxquels on associe les thèmes qu’elle aborde… années 70, années 90, torture,
injustices, illégitimité, métamorphoses monstrueuses, déception nationale à
l’échelle galactique. Bref, dégoutage. Les romans qui composent la littérature
algérienne, de par leurs sujets, peuvent ainsi sembler être la somme
d’histoires déprimantes, l’issue desquelles est très souvent, pour ne pas dire
toujours, pire que le début. Une littérature à priori noire, et plutôt
macabre.
Mais dans ce jeune corpus toujours
grandissant, il existe aussi des histoires qui se terminent « bien »
pour le dire platement, des histoires pleines de notes positives et des styles d’écritures séduisants, drôles
et ingénieux, qui mènent à une lecture enrichissante et presque joyeuse.
Preuves à l’appui ? Voici cinq lectures
pour commencer un printemps acidulé-sucré sur un ton pétillant.
1. L'envol du faucon vert de Amid Lartane (Editions Métailié, 2007, 213 pages)
Ce roman devrait être la référence des fans
de scandales financiers et de ceux qui suivent goulument les infos des Panama
Papers, des Sonatrach gates, des Khalifa crash, et autres fracas capitalistes.
L’histoire c’est celle de Mokadem
Oulmène qui a bien appris les leçons que son père lui a inculquées : l’argent
et les affaires se construisent sur les amis hauts placés, surtout sur ceux que
l’ont peut faire chanter pour mieux s’assoir. Oulmène a très bien réussi grâce à
ce précepte et à son allié le plus solide, la zaouia
de ses ancêtres, la zaoui Qadoussiya.
Oulmène a amassé une fortune avec ses traffics
mais son cœur n’est pas dans l’import export. Ce qu’il aime, ce sont les
avions, et c’est pour acheter sa propre flotte qu’il va suivre ce que Zerrouk, son
meilleur ami et frère confrérique, le neveu du puissant Si Lamine, lui suggère :
il va ouvrir une banque privée financée par des fonds illégalement acquis.
Va-t-il pouvoir réaliser son rêve, et consolider celui des hommes de l’ombre
derrière lui ?
Amid Lartane décrit en détail l’impitoyable
pègre financière et politique du pays d’Oulmène, fondée sur un groupe de
revenus d’Afghanistan, de mafiosi sacralisés, de technocrates désillusionnés, et
de fanatiques de porno pieux. Amid Lartane est le pseudo d’un auteur mystérieux
et qui, avec une plume lucide et pleine d’humour nous raconte comment se créé et
se gère un scandale financier.
Boufateh
Sebgag, qui écrit ici son troisième recueil de nouvelles, a capturé avec
délice, justesse et poésie 35 rencontres, les imprévues et les programmées, de
personnages très variés. L’ami de lycée sur lequel on tombe au café quand tout
n’est que désespoir, l’amante qui vous quitte mais qui inspire un merveilleux
poème, la dulcinée facebookienne de laquelle on se cache à l’entrée du Jardin
d’essai, l’ambassadeur corrompu nommé à l’ambassade de la pourriture…
Dans ces
histoires courtes ou très courtes, Sebgag révèle tendrement les pensées et
raisonnements de ses protagonistes. L’auteur a ici capturé comme en photo
l’instant où face à l’autre ou face à nous même, nous basculons.
Ravissements est le premier roman de Ryad
Girod qui, avant de paraitre en Algérie, était paru en France aux éditions José
Corti. Le roman s’ouvre sur le récit d’un homme, que l’on découvre être écrivain
de discours, attaché au département de linguistique et qui perd soudainement
toute capacité à s'exprimer. Commencent alors des hallucinations, des
souvenances resurgies de l'enfance, des questionnements au passé et au présent, sans ponctuations.
Les mots abondent en son fort intérieur, son
esprit et sa mémoire sont submergés d'images et de couleurs, mais ses mots ne trouvent plus d'issues extérieures. Est-ce
le début d'une folie que seul un figuier raisonne, ou est-ce le début d'une
fulgurante dépression nerveuse ?
Dans la veine des romans de Nina Bouraoui,
Ryad Girod surprend le lecteur avec une utilisation décalée de la virgule et du
point, un récit introspectif et une représentation de la douleur perçante mais
terriblement douce.
Après son
recueil de nouvelles publié en 2002, Djamel Eddine Taleb continue son parcours
d’auteur et publie ici son premier recueil de poésie aux éditions Mim (2015).
Les 26
poèmes de Nost-Algeria, bien qu’inspirés par une profonde mélancolie, sont sans
amertume. Motivés par une auto-thérapie formulée dans son poème intitulé Self-Therapy
« il guérit son âme… il écrit des poèmes », ces vers libres et les
pauses fluides qui les rythment sont remplis d’amour, de clins d’œil à un passé
présent et d’hommages aux êtres chers, comme à son épouse et aux amis. Des
poèmes dédiés aux villes berceaux de l’auteur comme Constantine, Londres et
Paris, et bien sur au « pays », à l’Algérie.
Pour une nostalgie avec
acceptation.
5. Au nom de ma parole d’Anissa
Mohammedi (coédition Les écrits des forges, Canada et Autres Temps, France,
2003)
Anissa
Mohammedi est une poète très active, connue pour ses 5 recueils de poésie
publiés au Canada, en France, en Algérie, et pour les poèmes qu’elle a
régulièrement déclamés en kabyle et en français au Mexique et au Nicaragua lors
de rencontres internationales de poètes. Elle a récemment participé au café
littéraire du HCA à Alger pour parler de son parcours littéraire depuis 1996,
l’année durant laquelle les Poésiades de Béjaïa ont reconnu son talent et
récompensé sa créativité.
Son recueil Au
nom de ma parole explore l’énigme de la parole et de son souffle. Dans
ces poèmes, Anissa Mohammedi traverse silence, souffle et conscience, vers des « terres
immortelles ». Elle nous raconte l’énigme de la parole, son univers et
« les étoiles [qui] bercent le songe ». Un superbe recueil,
serein et provoquant.
C’est à travers
Anissa Mohammedi, et tous ces auteurs, que l’on entend ce que notre
littérature nous dit certainement : « Par le risque et la
dépossession, Par l’exaltation et l’impulsion, agrippez-vous aux fibres de mon
verbe. »
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